Fabien Cerutti est l’auteur d’une épopée romanesque mêlant habilement Histoire de France et fantasy. Son héros, Pierre Cordwain de Kosigan, fait désormais partie de la lignées des personnages incontournables de la littérature de l’imaginaire. Fabien Cerutti est agrégé d’histoire et enseigne en région parisienne. Il passe une partie de sa jeunesse en Guyane et en Afrique et se passionne très tôt pour les cultures de l’imaginaire et les médias interactifs, dont le jeu de rôle et le jeu vidéo. Inspiré par le Trône de fer qu’il considère comme une œuvre majeure, il commence par inventer des scénarios pour le jeu en ligne Neverwinter Nights se déroulant dans l’univers du Bâtard de Kosigan. Rencontre avec l’auteur.
Comment êtes-vous venu à l’écriture ?
Longue histoire… Je connais le plaisir d’écrire depuis l’époque du lycée mais les choses sont devenues sérieuses pour moi il y a une dizaine d’années lorsque j’ai commencé à concevoir des scénarios pour le jeu de rôle informatique Neverwinter Nights. Six aventures réalisées en cinq ans, l’équivalent d’un roman à chaque fois en termes de dialogues et de possibilités à choix multiples. À la suite de quoi plusieurs joueurs qui avaient particulièrement apprécié l’aspect littéraire de la chose m’ont conseillé de me diriger vers la bande dessinée pour faire survivre le héros de cette saga : un chevalier mercenaire bourguignon surnommé le « Bâtard de Kosigan ». Le projet BD a été à deux doigts d’aboutir avec un beau contrat à la clef, malheureusement le dessinateur n’a jamais dessiné… J’ai réalisé que je ne serais sans doute jamais aussi bien servi que par moi-même, j’ai donc pris mon courage à deux mains et me suis lancé. Ce qui en définitive me paraît être pour le mieux puisque le roman permet des développements, une richesse et des subtilités dont la bande dessinée, malgré ses immenses qualités, ne peut que rêver.
Concernant le Bâtard de Kosigan, quelle est votre source d’inspiration?
Je n’ai pas de source d’inspiration, on parlerait plutôt d’influences multiples. Des auteurs traditionnels de littérature imaginaire comme Roger Zelazny, A.E. Van Vogt, Jack Vance, Philipp José Farmer, Ursula Le Guin, J.R.R Tolkien ou G.R.R. Martin, mais également d’autres plus classiques, comme Alexandre Dumas, Walter Scott, Ian Flemming, Edgard Rice Burrough, Jules Verne et même Borgès pour son jeu constant entre réalité et invention.
Ces deux romans mêlent habilement la fantasy et l’Histoire de France. Comment avez-vous décidé de mélanger des deux genres a priori éloignés l’un de l’autre ?
D’abord j’ai eu la chance d’avoir un professeur d’histoire du nom de Perceval en classe de cinquième, j’ai suivi sa voie et suis devenu à mon tour professeur agrégé, mais j’adore également les mondes de l’imaginaire depuis qu’un ami m’a fait découvrir les aventures de Tarzan à l’âge de onze ans, un autre le monde des non-aristotéliciens de Van Vogt l’année suivante et qu’en définitive j’ai mis la main sur la série du Seigneur des anneaux.
Selon moi, fantasy et histoire ne sont pas si éloignés que cela l’un de l’autre : la fantasy puise une bonne partie de ses références dans le Moyen-Âge réel, notamment en ce qui concerne le bestiaire merveilleux et les tactiques de combat, en revanche elle a gommé une bonne partie des structures sociales de l’époque et le poids si important de la religion chrétienne. Et puis, si l’on fouille un peu dans les corpus de textes médiévaux on se rend compte que de nombreux seigneurs, papes ou rois, ont produit des lois et des décrets pour réglementer l’usage de la magie ; au Moyen-Âge, la plupart des gens y croyait dur comme fer et l’Inquisition a fonctionné à plein régime durant des siècles…
Je suis parti de ce constat et ai fabriqué un postulat tout simple : et si tout cela avait été vrai ? Et si, à un moment donné, on avait tout simplement éliminé de l’histoire officielle l’ensemble de ce qui pouvait correspondre aux races et aux pouvoirs anciens, faisant passer tout cela au rang de légendes ? Mon idée était née et par extension celle de faire pénétrer la réalité dans ce genre de récits imaginaires.
On retrouve dans ces romans un personnage haut en couleur, rassemblant les caractéristiques d’un espion, d’un aventurier, d’un chevalier, le Bâtard de Kosigan. Comment avez-vous créé ce personnage ?
La réponse rejoint mes sources d’inspiration : de Corwin d’Ambre à Ivanhoë, de Tarzan à James Bond en passant par les personnages de Jack Vance ou de Philipp José Farmer, les héros que j’apprécie sont forts mais surtout malins, intelligents, habiles et pleins d’humour. Je ne suis pas un grand partisan de cette mode qui fait que depuis quelques années un bon héros doit forcément avoir une grosse faiblesse. Dans le cas présent, la plus grande fragilité du Bâtard de Kosigan, c’est son propre pouvoir, qui lui fait prendre parfois des risques inconsidérés et qui lui fait subir des souffrances que le commun des mortels ne pourrait même pas imaginer.
Deux aventures sont enchevêtrées dans ces romans. Celle qui se déroule au XIVe siècle et celle qui débute au XIXe. Ces deux aventures se renvoient continuellement l’une à l’autre. Les avez-vous écrites en même temps ? Pourquoi ne pas avoir écrit un nouveau livre avec celle qui se déroule au XIXe ?
Oui, les histoires se répondent, un peu au début, puis de plus en plus au fur et à mesure des tomes : on suit d’un côté les péripéties et les aventures tumultueuses du chevalier de Kosigan, mercenaire de haute volée au service des plus grandes maisons européennes au XIVe siècle et puis celle de son lointain descendant, cinq siècles plus tard, archéologue et historien en quête de réponses. Il s’agit d’une véritable mise en abîme de l’Histoire qui, à mon sens, enrichit énormément le propos de la série toute entière. Quant à séparer ces deux lignes temporelles dans deux livres différents à chaque fois, je ne pense pas que cela soit pertinent, un peu comme faire un tableau de mer d’un côté, un tableau de soleil de l’autre et expliquer au final qu’on a une oeuvre sur le soleil couchant.
Y a-t-il des auteurs qui vous ont influencé ?
Ah ! On dirait bien que j’ai déjà répondu à cette question… J’ajouterai peut-être Lois Mac Master Bujold et sa saga sur Miles Vorkosigan (puisque le nom de mon héros vient de là). À l’origine, le premier épisode que j’ai réalisé avec celui que l’on surnomme « le Bâtard » le mettait en scène lors de son retour dans son comté natal : plus intelligent que les autres mais mal vu de tous, il devait tirer son épingle du jeu dans un environnement difficile, notamment en jouant sur son charme et son habileté dans ce qu’on pourrait appeler les relations humaines. Dans un style qui peut, par certains côtés, se rapprocher de celui de Miles Vorkosigan.
Quels sont vos projets ? Un troisième tome ?
Oui, c’est en cours depuis un mois et demi maintenant. Le troisième épisode devrait clore une première trilogie, laquelle devrait à son tour (si on me laisse faire) en appeler une seconde. Et pour finir ces deux trilogies seront suivies par un dernier tome unique pour clôturer l’ensemble de la série. Les grandes lignes sont déjà claires pour moi, il ne reste plus qu’à tourner tout cela de façon intéressante et enlevée, malheureusement c’est bien sûr ce qu’il y a de plus compliqué !